Geneviève CLANCY
Poétesse et Philosophe
Disciple de Gilles Deleuze, elle écrira : « Accepter de ne plus combattre est un devenir dont la finalité est de vider l'infini». Et pour présenter « Du côté du Pont Mirabeau », ces belles paroles, selon Nicole Barrière, sont de la grande poétesse Geneviève Clancy qui, avec Philippe Tancelin, aura été la nouvelle source de la poésie française de la résistance de la seconde moitié du vingtième siècle. Elle est à jamais cette parole souveraine qui fait taire toutes les voix de l'oppression et de la haine. Elle semble trôner au milieu de nous comme une Pietà, avec sa douleur dans ses bras, son sourire las, sa présence intimidante, sa beauté haute, le portrait de la belle saison inaltérable de son visage. Voix de basse sur les poèmes, elle incarne la douleur et la force de la résistance à toutes les dictatures. Si fortement, que de son œuvre poétique, on se souvient des poèmes écrits pour témoigner, avec des millions de gens, sur l'injustice et la disparition qui frappent les êtres : ce sont des textes qui passent de main en main sur les territoires occupés et sont le réconfort de populations soumises aux dictateurs fous et sanguinaires.
Son œuvre importante va de la poésie parfois hermétique et philosophique à celles des passeurs d'âmes au plein du ciel, aux œuvres de témoignage de la douleur du monde. Toujours elle apparaît comme une figure de la résistance, à chaque époque qui amène ses flots d'horreur, dont elle disait parfois dans les dernières années, qu'on avait atteint un point tel de deshumanisation qu'il y avait là un in-pensé de la philosophie. L'humain deshumanisé. Son départ en octobre 2005, à l'automne des hêtres, en souveraine du verbe et de la dignité, après avoir traversé les épreuves de la vie comme une Pietà, une madone de la douleur, en étant jusqu'au bout proche de tous les fronts, y compris celui de son propre mal, traversant les frontières de l'existence comme les oiseaux migrateurs, avec son aura et sa faculté à universaliser la radicalité de sa conviction
Expérience de la perte dans sa mort : tant de poèmes non écrits nous manquent et marquent aujourd'hui la victoire des salauds. Cette voix d'au-dessus des camps doit encore faire son chemin car si elle est enracinée dans la langue et le coeur des poètes « aux pieds nus », par sa résistance, ses utopies, ses sentiments, elle attend que nous sachions rendre l'aveuglante simplicité, la pureté du feu de la poésie.
Il est douloureux de voir tant de fausses gloires en présentoir ou de serviles laquais du pouvoir (il n'est pas besoin de citer de noms) , alors que pour entendre quelques bribes de poèmes de Geneviève Clancy, un long chemin est nécessaire, quand même morte, elle est frappée d'interdit.
Nécessaire est sa poésie, nécessaire est la présence ce soir de son frère Philippe Tancelin pour retracer avec nous leur cheminement commun, nécessaire est le devoir de se souvenir de cette nature profondément aux aguets des signes de la vie et du destin. Profondément mystique, elle était en même temps totalement moderne dans ses relations à l'Autre, n'hésitant pas à proclamer ses convictions de femme et de poète et son attachement viscéral à la liberté. Il est toujours hasardeux de tenter de décrypter la vie des autres : elle est née sous le signe de l'universalité, prédestinée à la quête de la vie. Et si ni la paix, ni l'amour, ni le rire ne sont abondamment donnés, la douleur est la plus proche amie du tragique de la condition humaine dont elle a témoignée, la liberté qu'elle affirmée et l'égalité qu'elle n'a cessé de clamer.
Geneviève Clancy est d'une certaine manière initiatrice dans les rencontres, non dans la vénération mais dans le mysticisme de l'acte créateur, mais dans la croyance absolue de la puissance de la Parole et de la force du Verbe. Sa personnalité la fait devenir la figure de proue de la poésie de résistance en France. Docteur d'État en philosophie, elle a été professeur de philosophie et d'esthétique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Très jeune, elle fixe sa réflexion philosophique et son écriture poétique au creux de l’histoire mouvementée des luttes des exclus et des opprimés. Ses engagements aux côtés des Algériens, puis des Palestiniens, trouvent également leurs sens en France au sein des luttes pour le droit et la dignité des travailleurs immigrés, pour qui elle fonde dans les années 70, le Comité de Défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés (CDVTI) qui remportera un certain nombre de succès sociaux, politiques.
Sa poésie et ses engagements idéologiques ne font qu'un. Ses publications poétiques dans la revue "Change" en témoignent. Elle a été la directrice, avec Emmanuelle Moysan, de la collection de "Poètes des cinq continents" à la Maison d'éditions L'Harmattan où elle révéla de nombreux poètes. Elle fut aussi, en 1981, la cofondatrice du CICEP (Centre international de créations d'espaces poétiques).
Ce qu’on ne dit pas souvent d’elle, c’est qu’elle a été directrice du « Centre de Recherches sur les Arts de l’Islam », à l’Université Paris 8. Elle incarne la paix des valeurs, leur justice, leur justesse.