L’Art pour que Vivent les Mémoires des Villes Antiques‘’Le Cas de Carthage’’

Zoubeida Boukhari Le patrimoine de la mémoire : un thème riche et productif si on l’examine
dans toutes ses dimensions. Et surtout si on tient à souligner, dans la réflexion
pour l’action, l’action de l’Art sur la mémoire. En effet, nombreux sont les
artistes qui, à travers l’histoire des grandes civilisations, se sont appuyés sur
l’héritage du passé pour créer leur propre univers et devenir membre de la
‘’communauté de la mémoire’’.
Sous divers modes d’expressions artistiques ainsi préservée et transmise, la
mémoire a non seulement uni le peuple au sein d’un héritage commun mais
aussi a encouragé la formation de mode et de langage unique de création, à
travers la peinture, la photographie, la poésie, la musique aussi bien que les
Arts dramatiques. En explorant ces pistes, on rencontre indéniablement la
revendication identitaire. Voire un certain nombre d’artistes qui focalisent leur
intérêt sur les traces laissées par l’Homme sur les territoires qu’il a occupés.
L’étude de cas de l’ancienne Carthage, cité mythique méditerranéenne fondée
en Tunisie en 1814 av. J.-C. par la princesse Elyssa connue sous le nom de
Didon, est la base de cet article pour examiner la connotation culturelle
régionale à travers les spécificités léguées par le passé et encore vivantes.
Pour désigner le site archéologique de Carthage on emploie couramment le
mot ‘’monument’’. En effet, tout au long de l’histoire, dans le Monde Arabo-
musulman et ailleurs, les Hommes ont érigé des monuments. Dans la plupart
des cas, ils étaient motivés par un fervent désir de préserver pour l’éternité la
mémoire d’une personne ou d’un événement.
Le nom latin monumentum vient du verbe monemo qui veut dire ‘’faire
souvenir’’. Dans son sens originel, le mot monument signifie ce qui rappelle.
Ainsi les monuments expriment le désir d’incarner la mémoire dans la matière
solide et durable et la préserver à jamais de l’oubli. Certes, tout comme la
mémoire qui est flottante et peu fiable la matière physique est vulnérable au
ravage du temps. C’est pourquoi depuis les temps anciens plutôt que de se fier
au caractère impérissable de la matière, les sociétés d’intellectuels sont du
principe que rien de ce qui est matériel ne dure éternellement et ont conçu
d’autres moyens pour veiller à la pérennité de leurs souvenirs.
Le site archéologique de Carthage est classé au patrimoine de l’UNESCO depuis
1997. A l’évidence, on ne peut que se réjouir que ce splendide bien culturel ait
accédé à une notoriété internationale. Néanmoins, ceci suffirait-il pour
renforcer la renommée de cette citée dont la fondatrice Elyssa-Didon est mise
dans l’oubli.
Le recours au lieu comme contributeur à l’identité d’un événement reflète la
vaste portée qu’un site comme le théâtre antique de Carthage peut avoir sur la
communauté internationale, dans la mesure où il peut montrer la direction
menant à de nouvelles approches de la protection de la transmission de la
culture. Cet édifice est l’endroit qui accueille chaque année le festival
international de Carthage, Un événement qui fait du lieu un supplétif de la
mémoire. Et, chacun s’accorde, là, à considérer que c’est un festival crée pour
préserver ce monument patrimonial, impératif premier de l’action culturelle.
Toutefois, la question de la valorisation commerciale du patrimoine et de son
rapport avec le développement économique suscite des appréciations qui
relèvent d’une certaine subjectivité. Faut-il tout vendre (au sens métaphorique
du terme) ? La restauration d’une petite église, la rénovation d’une place de
village n’ont-elle de sens que si elles provoquent un afflux touristique, ou bien
ne peuvent-elles être réalisées pour le seul plaisir, pour la culture des
habitants ? En fait, l’une des composantes principales de la culture est
l’environnement quotidien, désormais pour presque tous, un environnement
architectural dont la qualité esthétique élève le niveau culturel des résidents.
La création artistique, en milieu local pose une série de questions délicates
dans ses rapports avec la conservation du patrimoine. Ce patrimoine qui est à
la fois matériel et immatériel. Matériel : On pense immédiatement au
patrimoine architectural. Immatériel : On pense aux traditions orales, aux
savoirs et aux savoir-faire, aux langues, aux expressions locales. Ainsi, la culture
est, dans ce contexte le patrimoine, la création. D’où ces questions qu’on
considère comme délicates. Délicates, parce que touchant au goût, à la
subjectivité, et ne devant pas mettre en cause la hiérarchie de la qualité. Ces
questions pourraient se résumer dans le simple ‘’par qui ? Pour qui ?’’
La littérature, le spectacle, les Arts plastiques son souvent l’œuvre d’artistes
locaux, plus souvent celles d’artistes implantés temporairement ou de façon
permanente. La difficulté est toujours la même : faire en sorte que la
population locale s’approprie l’initiative culturelle et que celle-ci, renforce
l’identité. Dans cette optique, l’on se demande, Carthage aurait-elle un opéra
qui favoriserait la préservation de sa mémoire ? Ce serait l’Opéra Elyssa-Didon :
une œuvre où la fusion de trois discours, musique, chant et chorégraphie,
créera l’univers d’une tragédie lyrique, celle d’Elyssa-Didon. Tragique était le
destin de cette princesse à la fois Africaine, Orientale et méditerranéenne.
Brillante est sa mémoire qui s’unit à celle de Carthage qu’elle avait fondée. Aux
scènes de la triomphe se mêlent amour, fidélité et patriotisme à travers un
baume mélodique et poétique donnant un aspect fascinant à Elyssa-Didon,
cette femme guerrière, souveraine qui incarne la féminité.
Projet grandiose et ambitieux. Il donne à l’opéra, en vue, la dimension d’un
véritable défi ; celui d’assurer la renaissance de la mémoire de Carthage. Une
renaissance indissociable de celle de la Tunisie. C’est, en effet, dans cette
perspective que l’Opéra Elyssa-Didon propose un spectacle où les chants et la
musique mêlés à la dance feront renaître la mémoire de la plus riche, la plus
belle citée punique sous le ciel de la Tunisie, à l’amphithéâtre romain de
Carthage.