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L’interculturalité en Méditerranée





















Giovanna TRISOLINI

Professeur des Universités

Trieste - Italie



Avant d’aborder la question, d’ailleurs délicate, de l’Inter culturalité je crois qu’il serait nécessaire de faire point sur la situation actuelle en Méditerranée, et surtout sur les rapports passés et présents, existant entre la Rive Nord et la Rive sud de cette mer, une mer, qui baigne trois continents, qui trouve depuis toujours son essence dans la diversité et le Pluralisme linguistique, culturel et religieux, comme un carrefour de cultures «entassées les autres» (Fernand Braudel, La Méditerranée. l’histoire, Paris, Flammarion, 1958, p.8)

En effet, partant de l’affirmation du philosophe libanais René Habachi, selon laquelle «La Méditerranée n’est pas seulement un fait géographique» (Orient quel est ton Occident ?, Paris, éd du Centurion, 1979, p.208), l’on peut affirmer qu’elle est plutôt, et surtout, un phénomène de culture qui peut et doit s’enraciner dans les consciences la Méditerranée a toujours été le lieu où le monde arabe et !’occident, deux pôles apparemment si éloignés l’un de l’autre, entrent en contact : ce contact produit inévitablement des tensions, des conflits politiques, des disputes culturelles et religieuses et des inégalités socio-économiques, mais il fonde aussi, depuis toujours, son essence sur la diversité et sur le Pluralisme culturel.

La Méditerranée est une réalite géopolitique, culturelle et économique extrêmement complexe, mais tout autant lieu par des éléments culturels très anciens et par des siècles d’histoire.

Face à cette complexité, que les forces économiques politiques ont le devoir d’affronter et de résoudre, intellectuels sont appelés à remplir une tâche précieuse : surtout de leur devoir de jeter les bases d’un dialogue qui amène à une connaissance aux jeunes générations.

A partir de la fin de la «guerre froide», l’Union européenne, en tant qu’ organisme d’intégration internationale, a adressé son attention presque exclusivement vers particulier vers les pays de l’Est, du Sud de la Méditerranée, pays fondamentale. Le reproche le plus fort qu’on peut adresser a !’Europe c’est d’avoir toumé le dos aux pays de la rive Sud de la Méditerranée sans avoir fait aucun effort pour redécouvrir la culture des peuples qui y habitent. La fracture qui existait vis-à-vis de l’Europe de !’Est avant la destruction du mur de Berlin s’est reproduite juste au milieu de la Méditerranée, a donné lieu à des réactions de refus et à des craintes injustifiées, et a mis en danger toute possibilité de rencontre et de dialogue. Mais le temps du «dialogue entre sourds» doit terminer. II faut que l’Europe «récupère» le monde arabe à travers la politique du dialogue qui doit dépasser la simple politique commerciale et assistancielle. fl faut se rendre compte que «sans l’ensemble eurafricain et Méditerranéen, l’Europe ne saurait trouver son équilibre. Sur cette voie chacun attend qu’elle invente et qu’elle s’anime» (Au-delà des tensions un équilibre nouveau à inventer, Interview d’ Edgard Pisani», des «Témoin», 3, été 1994, p. 77). arts appliqués, à la poésie, à la transmission des connaissances, etc.» (Edouard Glissant, Archipels, des «Qantara», avril.-juin 1994, p.45). Certes, l’histoire, la culture et la civilisation des Pays de la Méditerranée sont profondément liées à la religion. La cohabitation de religions à été la caractéristique de la Méditerranée pendant des siècles, même si elle est aujourd’hui remise en discussion de manière tragique ; cependant, ce n’est pas un hasard si les religions Méditerranéennes sont toutes monothéistes. Cette réalité est souvent soulignée par différents hommes de culture par Edouard Glissant, par exemple, qui a écrit : «L’hébraïsme, la chrétienté, l’Islam relève de la même aspiration à l’Un et de la même obéissance à une Vérité relevée (Archipels, «Qantara», avr.-juin 1994, p.45), ou bien par l’écrivain égyptien AI-Cheick Muhammad’Abduch qui avait affirmé déjà en 1901 «Pour moi la Bible, l’Evangile et le Coran sont trois livres concordants, trois prédications entièrement unies entre elles les gens religieux !es étudient tous les trois et les vénèrent également : ainsi se complète l’enseignement divin, et sa vraie religion brille à travers toutes les religions», et qui a ajouté quelques années plus tard «Les trois grandes religions étant ainsi animées d’un même esprit, l’hostilité entre leurs adeptes ne saurait durer longtemps. Je prévois le jour prochain où luira parmi les hommes la connaissance parfaite et où se dissiperont les ténèbres et l’ignorance ; alors les grandes religions s’apprécieront mutuellement et se tendront la main» ‹Dissertation sur la religion musulmane, Paris, Gnethner, 1925, p.394).

Le problème fondamental est plutôt Ensemble dans la diversité» (Thierry Fabre, convivence, «Qantara», avr.-juin 1994, p.25), C’est-à-dire comment arriver à faire que «l’Autre» soit toujours reconnu au pair ? La réponse doit être à travers le dialogue, la coopération, la connaissance. Mais, pour atteindre ce but, je crois qu’il nous faut apprendre à accepter la notion d’intercu1turalité, qui peut aider à entrer en contact et à nouer des rapports avec des communautés culturelles et, ethniques déjà présentes depuis longtemps sur le territoire, mais aussi avec des minorités plus recentes.

Malheureusement bien peu sont ceux qui pensent que l’interculturalité est compatible avec la fidélité à ses appartenances et aux liens d’origine, avec la, santé mentale et avec une personnalité equilibrée. Le moment est venu de revoir de manière critique de vieux paramètres, voire des préjugés, et considérer l’interculturalité comme une source de richesse et développement.

En effet, certains éducateurs ont eu la conviction qu’une école incapable d’enseigner la paix et le respect ne peut être porteuse de culture et qu’une éducation interculturelle est primordiale en ce qu’elle amène l’école à devenir le lieu d’une expérience solide et destinée à aider à reconnaître et à depasser les problèmes de la vie en commun.

II est certain que, quand il est question d’interculturalité, la prudence s’impose, car il ne faudrait pas penser qu’elle peut être la panacée de tous les problèmes sociaux. La perspective interculturelle n’est pas une formule qui facilite et qui résout toute chose, ni une méthode garantie à tout jamais. En premier lieu le passage nécessaire de la multiculturalité à l’interculturalité n’est pas un processus inévitable, ni même automatique; il demande une longue période de maturation, mais aussi des interventions en sa faveur et une volonté commune d’adapter et d’ouvrir les différentes politiques nationales au défi qu’ impose l’intégration sociale. La difficulté est là. Faire en sorte qu’une «condition» historique comme la multiculturalité devienne une «occasion» de formation de grande envergure, qui réalise des synergies nouvelles et fécondes dans l’interculturalité.

Dans la Méditerranée la multiculturalité existe, elle est dans la réalité des choses ; en effet, il n’y a pas de pays sur les rives de notre mer qui ne compte plus qu’une culture, mais, le plus souvent, ces cultures vivent, clans le même pays, des vies parallèles, le plus-souvent sans même s’effleurer, sans entrer en contact les unes avec Jes autres. II s’agit donc là d’une situation de «tolérance», et au sens péjoratif du terme, d’une culture, normalement de la culture majoritaire, envers l’autre, généralement de la culture ou des cultures minoritaires. Par contre, l’interculturalité n’existe pas, elle est }’expression d’une intention, une construction mentale et une aventure éducative, et elle est aussi le signe-qu’on peut espérer un futur meilleur. L’interculturalité est donc l’expression d’une démocratie mature: vouloir l’atteindre est le défi éducatif de notre époque, c’est la réponse aux sous-cultures de l’isolement, de l’autosuffisance, du dénigrement, de l’égoïsme de l’indifférence.

Pour toutes ces raisons, les peuples qui vivent sur les cotes de la Méditerranée doivent se fixer comme objectifs primaires la conciliation de l’identité avec la diversité, le développement de la volonté en vue de l’échange et de la connaissance réciproque, la mise en évidence des valeurs communes dans les différences, l’acceptation des différences comme valeur, comme richesse, comme ressource. Enfin, ii n’est pas dit que l’interculturalité soit un passage «doux» vers un nouveau concept de démocratie. Non, l’interculturalité peut être aussi une vaste zone de turbulence:

C’est pour cela qu’il est absolument nécessaire de créer un espace de réflexion sur l’interculturalité.

II est évident que le problème de l’interculturalité est un problème déterminant et décisif pour le futur de tous les Pays de la Méditerranée. Il est vain de chercher à installer des portes blindées, étanches : les mélanges, les rapports, les échanges, les métissages existent, il faut apprendre à vivre avec ces nouvelles réalités.

Enfin, il existe un problème de fond : la multiculturalité est - elle un malheur ou une «chance», en général et dans la Méditerranée en particulier? Je crois que l’histoire, la tradition la meilleure résident précisément multiculturalité et dans la multiethnicité, qui remplacée dans le présent par l’interculturalité.

Mais pour atteindre ce but, ii faut préparer des éducateurs qui Apprennent à combattre l’ignorance et le manque d’instruments, deux éléments qui sont depuis toujours les alliés de ce que je n’hésite pas à appeler racisme. Même si dans certains Pays de la Méditerranée le racisme est presque absent, il n’y a aucun vaccin contre ce fléau, sinon celui que donnent les anticorps foumis par la culture, par des instruments culturels et économiques adaptés, par un élargissement des horizons, par la recherche de systèmes et de mécanismes d’intégration et de coopération. Ces systèmes et mécanismes se doivent s’être en mesure d’aborder sérieusement le problème de l’existence de la multiculturalité, de la multiethnicité et de religions différentes, pour en arriver à l’idée de civilisation, de société ouverte a la culture de l’«autre», d’éducation interculturelle, qui doit être considerée comme le seul antidote à la discrimination sociale, laquelle se base du point de vue idéologique sur Jes différences ethniques.

Les intellectuels ont done pour tache de tisser un dialogue de connaissances réciproques et de transmettre ces connaissances aux jeunes générations. Ce faisant, ils doivent se souvenir que l’ignorance ne peut générer que la barbarie, tandis que le savoir peut être le seul moyen de renforcer une civilisation commune, mais aussi une civilisation ou l’on respecte l’apport de tout un chacun.

Concrètement les intellectuels doivent inculquer aux jeunes la conviction qu’il est indispensable d’établir un dialogue fondé sur la notion de cohabitation dans le cadre de la «sociéte civile» ; ils doivent former la conscience des jeunes au respect des différentes ethnies et religions ils doivent leur apprendre à aborder de manière équilibrée le problème délicat des relations entre les groupes dominants et les «minorités» historiques ou récentes. Enfin, ils doivent enseigner le respect pour la religion et l’identité «d’autrui». C’est en cela que consiste la notion d’inter culturalité. Et Dieu sait si nous en avons besoin.

Malheureusement ce débat n’en est qu’à ses premiers pas. Nous pensons, par ailleurs, que le chemin vers une, vie commune réelle entre !es cultures ne peut faire abstraction de cet effort de connaissance et d’approfondissement. La déclaration finale de la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone, fin 1995, avait en effet déjà indiqué, parmi les principes qui devaient mener a la réalisation d’un partenariat de paix et de stabilité, le respect de la liberté de conscience et de religion, diversités et du pluralisme, le dialogue entre cultures et religions différentes, la coopération entre Jes acteurs sociaux, y compris Jes acteurs religieux et culturels. II est évident donc qu’il faut, sans plus différer, se mettre sur la voie de la communication interculturelle, et cela vaut soit pour les Pays de la Méditerranée soir pour !’Europe entière, qui ne peut continuer a prospérer comme un creuset de régions et de cultures, et qui doit accepter, par contre, la diversité comme une compensation féconde a son unité. Pour assurer le succès de la coopération euro-méditerranéenne il est essentiel que l’Europe aussi se présente de manière plus «ouverte», c’est-à-dire qu’elle adopte, elle aussi, une perspective pluriculturelle, pluriethnique et plurireligieuse, et qu’elle reconnaisse la necessité d’un «réequilibrage vers le Sud de la Méditerranée».

Les intellectuels et la politique mondiale de ce millénaire ont done un grand défi devant eux : établir de nouvelles règles de vie commune, au-delà de la coexistence des différents peuples et de diverses cultures, de sorte que leur intégration et interconnexion produisent une «identité plurielle», et donc une nouvelle «société». En concluant, la Méditerranée doit devenir avant tout un lieu de rencontre, de désir de comprendre «I’Autre», de pénétrer les multiples facettes de cultures différentes, d’entreprendre un dialogue fondé sur la confiance et le respect réciproques. Comme a affirmé le poète Chems Nadir «la Méditerranée sera ce que ses peuples bourgeonnants en feront... «Le Livre des célébrations, Paris, Publisud, 1983, p. 23). C’est donc à nous de la créer, c’ est aux hommes de cultures de prouver qu’il existe une société civile Méditerranéenne, et qu’elle peut se développer et s’améliorer.

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