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Arts d'Afrique : L’écart entre « Culture » et « Civilisation »

Eleni LAZIDOU

Anthropologue grecque


A travers cette étude, nous verrons à quel point la tradition occidentale se veut à la fois culturaliste et civilisatrice au regard de traditions dites primitives. Nous verrons, à quel point les scientifiques occidentaux sont baignés dans cette idée pour le moins surprenante, selon laquelle il y aurait des cultures et civilisations moins avancées que d'autres. Les arts d'Afrique sont un exemple par excellence de cette supposée supériorité occidentale, puisque quand ils ne sont pas désignés par les occidentaux comme primitifs, ils sont présentés comme arts premiers. Ce qui est encore plus surprenant, c'est que même dans le discours de ceux qui parmi les occidentaux essayent de démonter le contraire, c'est-à-dire que les arts africains sont aussi valables que l’art occidental, nous observons par moment à quel point il est difficile de se débarrasser des stéréotypes du regard occidental. Pour mieux saisir, alors, Pecan qui sépare la 'culture' de la 'civilisation', nous pensons qu'il est important de définir d'abord ces deux termes avant de voir quels sont ces stéréotypes qui les ont imprégnés avec une empreinte indélébile et profonde.

Le terme culture, au 16è. siècle, a repris au latin le sens moral de développement des facultés intellectuelles par des exercices appropries. A la fin du 18è siècle, la traduction du terme allemand kulture, chez Kant, introduit le sens de 'civilisation’ envisagée dans ses caractères intellectuels' qui va entrer en concurrence avec `civilisation', encore très marque par son sens actif originel 'action de civiliser' qui implique une hiérarchie. Au 20è. siècle, avec des ethnologues américains comme Malinowski, 'culture' reçoit sa définition ethnologique et anthropologique d'ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés humaines, en partie par opposition à la notion de 'civilisation' qui est considérée comme normative et hiérarchique. Le terme civilisation a été défini au 18è. siècle, comme ce qui rend les individus plus aptes à la vie en société et surtout, comme le processus historique de progrès matériel, social et culturel, ainsi que le résultat de ce processus, soit un état social considéré comme avancé. Par métonymie, le mot désigne aussi une société caractérisée par son degré d'avancement. L'accent étant mis sur le degré de perfection atteint, le nom est employé absolument avec le sens de 'caractère civilisé, état social avancé'.


A travers ces définitions de 'culture' et 'civilisation', nous constatons déjà qu'il y a un écart qui sépare ces deux notions. Le terme 'culture' se réfère aux aspects des comportements humains, alors que le terme 'civilisation' fait référence au progrès en bien de ces aspects des comportements humains, et ainsi de la culture elle-même. De ces définitions, il résulte qu'il y a des cultures qui ont progressé en bien et qui ont donné des civilisations avancées, alors que d'autres n'ont pas progressé ou n'ont pas progressé suffisamment bien pour aboutir à des civilisations avancées. Il reste maintenant à définir ce que bien veut dire pour comprendre quelles seraient les civilisations véritablement avancées ?


Les valeurs actuelles de 'bien' sont présentes dès le 16è. siècle, ainsi 'bien' exprime une manière satisfaisante selon les critères culturels, individuels et collectifs du temps, dans les domaines intellectuel, esthétique ou moral. Ce terme, attesté dans un contexte chrétien, recouvre la notion morale de ce qui est juste, honnête, louable.


`Bien' exprime alors, une manière satisfaisante selon des critères, culturels, individuels et collectifs du temps. La notion du temps, en l'occurrence, vient pour souligner que ce qui est considéré comme étant bien aujourd'hui, ne l'était pas forcément hier et ne le sera pas forcément demain. Ceci est très important et il faut se le rappeler, la notion du bien n'est ni intrinsèque, ni figée. Quand alors, on pense que la notion du bien dépend des valeurs culturelles individuelles et collectives et que le terme civilisation fait référence à des cultures qui ont avancé en bien, on peut sans hésitation affirmer que nous avons affaire à des notions très subjectives. Ce qui est bien pour moi, ne l'est pas forcément pour vous, ce qui est bien dans une société donnée ne l'est pas forcément dans une autre et ce qui était bien pour moi ou pour une société hier ne l'est plus forcément aujourd'hui. Toute notre problématique consiste alors à savoir, du moment où il n'y a pas une définition objective et unique du bien, de quelle manière peut-on détecter quelle est ou quelles sont les cultures qui ont progressé en bien et qui ont donné des civilisations avancées. Notre hypothèse consiste à dire qu'il n'y a aucun moyen de répondre à cette question, du moins objectivement, et il serait prétentieux, pour quiconque, de prétendre détenir la connaissance du sens absolu du bien. Or, à partir de la définition du mot 'civilisation' nous constatons que, pour l'homme occidental, il existe bien une hiérarchie parmi les civilisations, puisqu'il considère certaines comme étant plus avancées que d'autres. Par conséquent, il y aurait aussi des cultures plus avancées que d'autres. Il serait intéressant, alors, de voir à quoi tiennent ces cultures et ces civilisations avancées.


Jean Laude, dans son ouvrage 'Les arts de l'Afrique noire', souligne que selon Leonard de Vinci la hiérarchie des arts s'harmonise avec le niveau des civilisations qui les pratiquent, la peinture serait ainsi selon Leonard de Vinci le premier des arts et les Noirs qui se limitent à la sculpture sont nécessairement des artistes inférieures. Soulignons ici deux choses. Premièrement, c'est effectivement selon Leonard de Vinci que la peinture est le premier des arts. C'est-à-dire, qu'il s'agit là d'une conviction personnelle de Leonard de Vinci. Deuxièmement, notons que les Noirs ne se limitent pas qu'à la sculpture, comme semble le croire Leonard de Vinci. Or, sans même parler de peintures préhistoriques pour démontrer le contraire, on peut évoquer tout simplement la danse, la musique ou encore la peinture sur le corps ou les murs de maisons, appelés en occident cases. Arrêtons-nous aussi un instant sur ce mot case, employé par les occidentaux pour souligner l'infériorité, selon eux, des civilisations africaines dont les habitats ne seraient pas des maisons mais des cases, c'est-à-dire rudimentaires. En grec ancien et en latin, les mots COU a ' et 'maison' signifient 'pièce où l'on fait le feu' et 'bâtiment d'habitation'. Or, cette définition semble pourtant correspondre tout à fait à ce que les Noirs font aussi dans leurs cases, mots qui nous vient de l'espagnol casa pour désigner les maisons en Afrique de l'ouest. En quelques lignes, nous observons alors que, pour l'homme occidental, les Noirs ne vivent pas dans des maisons dignes de ce nom et qu'ils ne savent pas peindre. Mais pourquoi les Noirs n'ont-ils pas de maisons et ne savent-ils pas peindre ? Ou plutôt, pourquoi les Noirs n'avaient-ils pas de maisons et ne savaient-ils pas peindre ? Car, nous ne pouvons plus parler au présent, aujourd'hui il y a plein de maisons et de peintres en Afrique noire. Pour répondre à cette question, nous en poserons une autre : pourquoi les Noirs devraient-ils avoir de maisons et savoir peindre ? En réalité, le discours qui tente de prouver, à tout prix, qu'il y avait des édifices ou des peintres en Afrique noire semble parfois aussi nuisible que celui qui tente de prouver le contraire. En effet, ce qui est essentiel, c'est de répondre à la question suivante : selon quelle règle ou quelle loi civilisatrice les Noirs devraient-ils avoir des édifices architecturaux à l'occidental et des peintures à l'occidental pour qu'on puisse parler de civilisation avancée ? Une civilisation avancée n'a pas besoin de Panthéon, de Tour Eiffel ou de Leonard de Vinci. On pourrait d'ailleurs discuter longtemps sur ce qui est avancement ou pas. David Diop, d'origine sénégalaise, écrit : Ô vous qui avez inventé, fer à repasser, bouton de col, épingle à nourrice, lunettes de soleil, eau courante, bidet, traite des noirs, commerce de blanches, chaise électrique, guillotine, lynchage, canon, avion, bombe atomique, ma race vous crie : 'merci' au nom de la ci-vi-li-sa-tion ! En effet, il serait difficile de nous mettre tous d'accord sur ce qui fait qu'on puisse parler de culture ou de civilisation avancées. Et, nous ne serons jamais tous d'accord sur une définition commune de ce qu'est une civilisation humaine avancée car, chacun parmi nous, chaque individu, chaque société, chaque culture et chaque civilisation a ses propres valeurs. Ainsi, ce qui pour un occidental est vu comme avancement pour un nord-africain ou pour un asiatique peut être considéré comme régression.


Arts d'Afrique : culture de l'Homme ou Arts d'Afrique : civilisation de l'Homme ? Nous avons la conviction que le terme `culture' associé aux" arts d'Afrique ne choque pas vraiment en réalité, puisqu'une culture n'a pas à être avancée. Arts d'Afrique : civilisation de l'Homme : cette combinaison peut scandaliser certainement plus d'une personne car, pour certains esprits, l'homme noir n'a pas de civilisation ou pour les plus ouverts parmi nous a sa propre civilisation ou civilisation autre, pour reprendre un terme dans l'ouvrage de Jean Laude. Or, même chez Laude qui a beaucoup travaillé sur l'Art africain, nous pouvons constater à quel point il peut être difficile de se débarrasser du bagage de l'éducation occidentale quand il s'agit de l'Afrique. Il écrit : le cubisme est loin d'être entièrement né de la sculpture nègre, mais il n'est pas exagéré de prétendre que Matisse, Braque et Picasso ont donné à l'art africain ses lettres de noblesse et qu'ils sont ainsi à l'origine de la véritable découverte du Continent noir et de ce que l'Europe peut lui devoir. C'est bien une dette de reconnaissance qui, sur le plan artistique au moins a été payée à l'Afrique et au 'monde primitif' lorsqu'en 1937, le Musée d'Ethnographie du Trocadéro est devenu le Musée de l'Homme. Ces propos de Laude sont très intéressants. Cet auteur affirme que Braque, Matisse et Picasso ont donné à l'art nègre ses lettres de noblesse. En effet, en 1966 date à laquelle Laude a écrit son ouvrage, il ne pouvait pas facilement dire le contraire, c'est-à-dire, que c'est l'art africain qui a donné à Braque, Matisse ou Picasso leurs lettres de noblesse. L'art africain avait-il besoin d'être copié par des artistes réputés pour qu'on considère qu'il s'agit d'un art noble ? Et, d'ailleurs, existe-t-il un art qui ne serait pas noble ?

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