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Atelier d'expression picturale sous Induction Musicale




















Lianna PRINOU Athènes

«Les parfums, les couleurs et les sons se répondent» Sonnet IV des «Fleurs du Mal»

de Baudelaire

A la suite d’une expérience de sept mois, j’ai été amenée à établir le bilan suivant en ce qui concerne l’existence d’un groupe ouvert d’expression se réunissant régulièrement une fois par semaine au pavillon 7 de l’Hôpital de Vaucluse.

Dès mon arrivée dans ce pavillon, j’ai été informée par l’équipe soignante de l’exprit de coopération et de prise en charge réciproque des uns par les autres qui règne dans ce lieu. Or, ce travail que j’étais invitée à faire, devait contribuer à cette vie en commun du pavillon, en mettant essentiellement l’accent sur la dynamique du groupe.

En fait, il s’agit d’un atelier d’expression picturale sous induction musicale. Il faut souligner le fait que le groupe n’a pas de caractère directif, mais qu’il est influençable par les suggestions, les désirs des participants, et qu’il est un groupe ouvert aussi bien aux pensionnaires qu’aux membres du personnel, qu’aux divers visiteurs.

Dans un groupe ouvert, constitué par des personnes diverses, la musique, auditionnée en commun,, agit comme un médiateur relationnel. A travers celle-ci, les participants vivent une aventure émotionnelle commune. «Les sujets» se laissent pénétrer par la musique et peuvent trouver à travers elle un apaisement, une détente, un secours, un stimulant, un moyen de communication avec autrui. L’œuvre musicale qui, au début, était proposée par moi-même, petit à petit, a été proposée par n’importe quel membre du groupe. Ceci paraît être déjà un élément important, dans la mesure où les participants acceptent le choix des uns et des autres.

Et, à partir du moment où on arrive à exprimer son désir dans le choix musical, on dévoile une histoire intime, on exprime son psychisme, son affectivité, un souvenir personnel, un fantasme, on raconte ses propres tristesses, ses propres tendresses, ses propres foies… Celui qui propose s’ouvre en quelque sorte aux autres, laisse communiquer aux autres un sentiment, une sensation très personnels. Qu’est-ce que cela exprimerait d’autre, sinon au moins une demande d’aide, de communication avec autrui ?

Ainsi, par exemple, une pensionnaire mélancolique, qui a participé au groupe après une longue période de silence, est arrivée un jour à nous proposer d’écouter le concerto d’Albinoni, morceau musical qu’elle écoutait toujours lorsqu’elle faisait ses tentatives de suicide (elle en avait fait plusieurs), musique qu’elle aimerait qu’on joue le jour de son enterrement. On reprendra ce cas plus loin, pour constater les résultats que cela a donné à ce moment.

Pour toutes ces raisons, cette « co-audition » de l’œuvre musicale fait, à elle seule, un instrument thérapeutique important.

L’audition musicale apaise ou transporte, contribue à la reviviscence de l’univers émotionnel de l’individu, mobilise le dynamisme, réveille des sentiments constructifs et suscite la créativité.

Mais ce débordement de la vie affective peut également utiliser d’autres moyens de s’exprimer que les mots. Dans le cas présent, le moyen d’expression privilégié est l’expression picturale.

L’audition d’un son produit des visions colorées et on s’attache à traduire l’impression auditive en impression visuelle. La musique anime des affects, active des fantasmes qui, transformés en représentations visuelles, s’expriment dans l’expression picturale.

Cette transformation de l’impression auditive en expression visuelle se fait :

- Soit directement et, dans ce cas, il y a transformation immédiate du son en couleur ou en ligne, ce qui correspondrait probablement au travail de l’animation simplement des affects que le stimuli auditif fait dans le psychisme. Avec la couleur et la ligne on peut dire ses sentiments sans les mots. Sur ce point, il y a lieu de faire toute une étude sur la relation, la correspondance qu’il y a entre la mélodie, le son, ses variations, ses fréquences, etc… et la ligne, la couleur, etc. Tout cela en relation avec le monde symbolique propre à chacun.

- Soit indirectement, par l’intermédiaire de la pensée, voir même de la parole, ce qui correspondrait peut-être, en plus du travail de l’animation des affects, à celui de l’activation des fantasmes. Dans ce cas, on dessine une représentation plus ou moins précise, parfois on verbalise un moment, ou on s’exprime par le dessin, tout en écoutant le morceau musical. Il arrive encore que les participants, sous l’influence de la stimulation auditive, fassent une sorte de rêve éveillé et qu’ils s’expriment simplement, plus tard, par des dessins individuels ou collectifs.

La pensionnaire mélancolique citée ci-dessus, avait envie en écoutant le Concerto d’Albinoni avec le groupe, de dessiner « une morte dans son lit », dessin auquel elle a pensé pendant toute une semaine, comme elle nous l’a confié à la fin de la séance. Mais à sa propre surprise, elle a dessiné un aigle dans son nid, couvant ses œufs, sur le sommet d’une montagne entourée d’autres sommets pointus ?

Il serait intéressant d’essayer de faire l’analyse symbolique de ce dessin en liaison avec le morceau musical proposé et avec la problématique propre de la patiente, mais ce n’est pas l’objectif ici. On pourrait encore considérer ceci comme un signe, une preuve qu’une thérapie individuelle utilisant comme médiateur la musique et la peinture serait possible avec cette jeune femme.

Mais ce qu’on pourrait dire comme une simple constatation, sans prétendre que ce soit un résultat de grande importance et à long terme, c’est que pendant les cinq mois qui ont suivi cet événement, cette pensionnaire n’a plus eu envie d’écouter ce concerto qu’auparavant elle écoutait très souvent.

La représentation picturale peut être une projection visuelle des souvenirs qui, évoqués par l’induction musicale, deviennent importants, se chargent d’affectivité, s’investissent d’énergie. A l’extrême, on pourrait dire que «peinture devient une représentation signifiante du fantasme» (Soisson), qui décharge les tensions. A partir du moment où on arrive à figurer son conflit, on aboutit à une diminution de l’angoisse qui l’accompagne puisqu’il est représenté et ainsi extériorisé.

La musique peut provoquer une prise de conscience des tensions et des conflits qui, par la suite, se trouvent liquidés et ainsi sublimés dans la peinture, conflits individuels et conflits collectifs.

La musique agit sans doute comme un conditionnement mais ayant une étendue assez vaste où chacun peut projeter ses propres fantasmes, ses propres conflits. Dans la représentation graphique de ces fantasmes, souvent faite sur la même feuille de dessin, ce qui correspondrait sur un plan symbolique à l’espace commun que les différents participants doivent partager, chacun prend conscience de ses propres conflits et de leurs rapports avec ceux des autres. Ceci amène à un échange entre les participants, échange qui peut se passer à différents niveaux, aussi bien émotionnel qu’intellectuel, et qui s’exprime de différentes façons, soit par l’expression graphique, soit par un autre mode d’expression. Ainsi, par exemple, les rapports de force du groupe surgissent souvent sous une forme de concurrence entre les différents participants et le groupe prend, de cette façon, conscience de ses propres conflits.

Mais la « co-audition » d’une musique comme ambiance stimulante de fond, multiplie les chances de compréhension mutuelle et de communication, même si ceci passe d’abord par un stade de prise de conscience des contradictions internes au groupe. Le dénouement de telles situations conflictuelles se trouve souvent dans un dessin collectif fusionnel où les lignes, les couleurs, les fantasmes des uns complètent ceux des autres dans une riche fantasmatisation commune.

Par exemple, un coucher de soleil tendrement coloré par des nuances pastel par trois participants tou en écoutant la «Symphonie pastorale» de Beethoven, séance qui a suivi une autre au cours de laquelle les mêmes participants avaient déchargé cruellement leur agressivité dans des dessins violents en écoutant «La mer» de Debussy.

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